La Vérendrye, ou l'archétype du voyageur idéal

par Combet, Denis

Monument de La Vérendrye, dans le parc La Vérendrye. © David Dandeneau

La Vérendrye fait partie des explorateurs marquants de l’histoire de la Nouvelle-France. Il reste une des grandes figures emblématiques de l'Ouest canadien du fait qu'il est le premier voyageur à atteindre la région de Winnipeg. Il est particulièrement célébré au Manitoba par des fêtes commémoratives, des événements culturels et par les arts : ces manifestations soulignent que le fait français dans les Prairies remonte aux initiatives du découvreur. Aux yeux de plusieurs, La Vérendrye se présente comme l'archétype du voyageur idéal. Il symbolise le courage et l’esprit d'aventure, des qualités bien ancrées dans la mentalité des voyageurs francophones, métis et anglophones qui ont peuplé progressivement cet espace géographique de l'Amérique du Nord.


Article available in English : La Vérendrye: Archetypal Ideal of the Voyageur

La Vérendrye d'hier à aujourd'hui

Un nom français dans l'Ouest canadien

Des toponymes d'origine française tels que Fort-Rouge, Portage-la-Prairie et Dauphin, nous rappellent que les premiers Européens à atteindre la région du lac Winnipeg entre 1735 et 1738 furent des Français de la Nouvelle-France, sous le commandement de Pierre Gaultier de Varennes de La Vérendrye. Pour avoir été le premier Français à fouler officiellement la région de Winnipeg, La Vérendrye est devenu un symbole de la longue présence francophone dans l'Ouest canadien, en particulier au Manitoba. C’est pourquoi le découvreur tient une place centrale dans la mémoire collective des Franco-Manitobains.

C. W. Jefferys, La Vérendrye. BAC

La Vérendrye se rattache à un mythe, à un point d'origine, celui des débuts difficiles de l'implantation d'une société française dans les Prairies canadiennes. Le voyageur originaire des Trois-Rivières, au Québec, demeure une figure incontournable du patrimoine des Franco-Canadiens de l'Ouest, en particulier ceux du Manitoba, pour qui il incarne des qualités représentatives d'un esprit combatif. Les qualités morales de l'explorateur : esprit d'aventure, courage, ténacité, esprit de résistance, sont aussi l'apanage des divers groupes qui seront amenés à peupler cette région du Canada; notamment les francophones qui, jusqu'au geste de revendication posé par Georges Forest en 1971 (NOTE 1) durent se battre avec âpreté pour leurs droits linguistiques. Dans la lignée des grandes figures historiques francophones du Manitoba telles que Louis Riel ou l'évêque Alexandre Antonin Taché, La Vérendrye frappe par l'héroïsme de son entreprise et de son caractère.

Les Métis et les anglophones des Prairies célèbrent également la mémoire de La Vérendrye. En octobre 2001, par exemple, à Winnipeg, le prix Pierre-Berton fut remis à Radio-Canada pour l'émission de télévision Le Canada : une histoire populaire/Canada : A People's History. Par la même occasion, on a souligné le 80e anniversaire d'une des plus grandes fondations du Canada, la Winnipeg Foundation, qui a soutenu financièrement la publication d’une édition bilingue des journaux de La Vérendrye, lancée ce jour-là. Cette reconnaissance symbolique par un organisme anglophone d'un fait français central à l'histoire de Winnipeg et du Manitoba, voire des Prairies, est des plus significatives.

La Vérendrye : l'archétype du voyageur idéal

 Pauline Boutal, La Vérendrye, CUSB

Le souvenir de La Vérendrye est vivant dans des cultures et des communautés diversifiées, francophones, anglophones, métisses et autochtones, au Canada et aux États-Unis. La Vérendrye est l'archétype du voyageur idéal parcourant de grandes distances, découvrant de nouveaux réseaux fluviaux et organisant la traite des fourrures avec habileté, dans des conditions difficiles. Partout au Canada, son nom a été donné à des écoles, à des associations commerciales ou gouvernementales, à des clubs privés, à des terrains de golf, à des rues, et à l'immense réserve faunique des régions de l’Abitibi-Témiscamingue et de l’Outaouais, au Québec. Plusieurs organismes de canot-camping portant le nom du voyageur offrent aussi à leurs membres l'occasion de vivre une expérience semblable à celle que connut La Vérendrye en parcourant les lieux qu’il a explorés.

La Vérendrye et le mythe de la mer de l'Ouest (1730-1760)

Les difficultés d'une entreprise

Le voyageur idéal ne pourrait nous faire oublier les difficultés d'une entreprise d’exploration qui, il y a quelque trois siècles, tenait plutôt de la gageure. Les Français de la Nouvelle-France occupèrent l'Ouest canadien par la mise en place d'un réseau de postes de traite des fourrures savamment élaboré par La Vérendrye et ses fils, puis par leurs successeurs, de 1731 à 1760. L'expédition menée par le clan des La Vérendrye dans la région du lac Winnipeg visait non seulement la recherche de la mer de l'Ouest, mais consistait aussi à fonder une entreprise commerciale de grande envergure. Pour ce faire, il fallait forger de nouvelles alliances avec les Amérindiens de la région et concurrencer la compagnie anglaise de la baie d'Hudson.

Si, de 1731 à 1735, les initiatives de La Vérendrye furent bien accueillies à Québec et en France, les années qui suivirent furent marquées par une suite de revers et de contretemps qui minèrent l'officier-commerçant et le discréditèrent aux yeux du ministre français de la Marine et des Colonies, Jean-Frédéric Phélypaux de Maurepas. Le gouverneur de la Nouvelle-France, Charles de La Boische de Beauharnois, défendit cependant avec persistance son protégé, pendant que le ministre de la Marine faisait tout pour évincer la famille La Vérendrye de l'Ouest. Celle-ci fut aussi le sujet de jalousies, voire de médisances au sein même de la colonie.

La Vérendrye seul et contre tous (1736-1747)

Le monument du père Aulneau et de Jean-Baptiste de La Vérendrye. ©David Dandeneau

Les grandes distances entre Montréal et le lac Winnipeg, le problème logistique du transport des marchandises de traite, leur coût élevé, ainsi que les désaccords avec les marchands et associés finirent par ruiner La Vérendrye. L'année 1736 correspond à deux tragédies dont il se remettra difficilement. Son neveu, Christophe Dufrost de La Jemerais, voyageur remarquable qui avait établi le fort Maurepas à l'embouchure de la rivière Winnipeg en 1735, mourut d'épuisement à la rivière des Roseaux l'année suivante. En juin 1736, Jean-Baptiste La Vérendrye (le fils aîné du découvreur), le père jésuite Jean-Pierre Aulneau de la Touche, ainsi que les dix-neuf voyageurs qui les accompagnaient, furent massacrés au lac des Bois par un parti de guerre sioux. La guerre ancestrale que livraient les Cris et les Assiniboines aux Sioux mit fin à une traite fructueuse ainsi qu’au plan de paix que l'explorateur avait pour mission de négocier entre ces nations.

C'est avec persistance que Pierre de La Vérendrye continua son projet de découverte, surmontant les déboires et les incessantes critiques dont il fut victime. En 1738 fut construit le fort La Reine, au Manitoba actuel, d'où il partit visiter les Mandanes, dans l’actuel Dakota du Nord, chez qui il vécut jusqu'au printemps 1739. Mais l'expédition effectuée par deux autres de ses fils, Louis-Joseph et François, vers les Rocheuses en 1742-1743 mit fin aux spéculations quant à l'existence d'une mer intérieure facilement accessible et ouvrant sur le Pacifique et l'Asie. Pierre de La Vérendrye fut définitivement écarté des postes de l'Ouest en 1747. Le voyageur vivait alors à Québec, où le gouverneur Beauharnois continuait de le soutenir, par exemple en le nommant capitaine de sa garde personnelle. La Vérendrye fut aussi décoré de la croix de Saint-Louis par le nouveau ministre de la Marine, Antoine-Louis Rouillé, avant de décéder en décembre 1749, alors qu'il se préparait à repartir vers la mer de l'Ouest.

La tradition de la traite des fourrures et la naissance de la nation métisse

Arthur H. Hider, La Verendrye au lake of the Woods, BAC

Au-delà des réussites et des échecs liés à la recherche de la mer de l'Ouest, c'est la vie des seigneurs-voyageurs de la Nouvelle-France que nous décelons dans l’aventure des La Vérendrye. Nous y voyons aussi des témoignages de la rencontre avec l'Autre. En effet, après la chute de la Nouvelle-France en 1763, plusieurs voyageurs restèrent dans l'Ouest, s'intégrant aux peuples autochtones et y jouant souvent un rôle prépondérant. Avec la création de la Compagnie du Nord-Ouest, à Montréal, en 1779, un plus grand nombre de Canadiens français, connus pour leur endurance et leur sens de la communication, se mêlèrent aux Premières Nations à la faveur de leur voyage de traite dans l’Ouest. Le nouveau peuple des Métis et plus particulièrement la communauté métisse catholique de la rivière Rouge, qui a joué un rôle capital dans l'évolution de l'histoire canadienne, naquirent de la rencontre entre ces deux mondes. La traite des fourrures entre voyageurs et Autochtones est typique d'un style de vie dont la réalité culturelle est toujours vivante, comme le prouve le succès du Festival du voyageur, célébré depuis 1970 à Saint-Boniface.

Images de La Vérendrye et souvenir

La Société historique de Saint-Boniface (SHSB) et la mémoire des La Vérendrye

Intersection, rues La Vérendrye et St-Jean-Baptiste. © David Dandeneau

Dès sa fondation en 1902, la Société historique de Saint-Boniface (SHSB), dont le mandat principal est « la conservation et la promotion du patrimoine »(NOTE 2) a décidé d'honorer le passage des La Vérendrye dans les Plaines canadiennes. Entre 1902 et 1908 s'organisent, sous la houlette de la SHSB, quatre expéditions en vue de la découverte du fort Saint-Charles et des vestiges des corps mutilés de Jean-Baptiste de La Vérendrye, du père Aulneau et des voyageurs qui les accompagnaient. Leurs squelettes découverts sur la rive sud de l'île au Massacre au lac des Bois le 7 août 1908, ainsi que certains objets qui leur appartenaient, furent conservés au Collège de Saint-Boniface jusqu'à l'incendie qui détruisit le bâtiment en 1922.

Plusieurs études historiques ont été entreprises par les membres de la SHSB au fil des années. Le Père Morice, le juge Prud'homme, le journaliste Donatien Frémont, puis dans les années 1960 le père Antoine Champagne, témoignent par leurs travaux importants de l'actualité toujours vivante du voyageur. Enfin, le nouveau Centre du Patrimoine de Saint-Boniface, inauguré en 1998, conserve les contrats des voyageurs et rassemble des sources historiques pertinentes pour les chercheurs.

Images commémoratives de La Vérendrye : architecture, peinture et littérature

Timbre La Vérendrye. BAC

En 1936, une plaque commémorative créée en souvenir de la mort de Dufrost de La Jemerais a été dévoilée à Lettelier, au Manitoba. La mémoire de La Vérendrye fut plus particulièrement mise à l'honneur en septembre 1938, lors de la fête du bicentenaire de son passage à la fourche des rivières Rouge et Assiniboine. Un monument commémoratif fut inauguré à cette occasion, puis un défilé et une fête eurent lieu dans le parc Whittier. De plus, le Winnipeg Canoe Club organisa une reconstitution historique : 200 canots occupés par des Amérindiens et des voyageurs voguèrent sur la rivière Rouge. En 1976, un monument à la mémoire du père Aulneau et de Jean-Baptiste de La Vérendrye fut érigé en face de la cathédrale de Saint-Boniface. En 2007, la Société du monument national La Vérendrye inc. préparait la création d'un monument célébrant le passage de l'explorateur au Manitoba.

Au fil des années, d'autres initiatives ont été prises, dont la reconstitution du fort Saint-Charles au lac des Bois, et du fort La Reine à Portage-la-Prairie, chacun faisant l'objet de la création d'un musée. Des peintures furent réalisées pour inscrire cette aventure dans la mémoire collective des Manitobains et des Canadiens français, notamment la magnifique peinture de Pauline Boutal qui orne le Club de La Vérendrye de Saint-Boniface, ainsi que les douze tableaux créés en 2001 par l'artiste métis René Lanthier, qui retracent les grands moments des explorations des La Vérendrye en direction de la mer de l'Ouest. Leur vente servira à la création d'une bourse La Vérendrye qui sera attribuée à un étudiant en histoire du Collège universitaire de Saint-Boniface. Il existe aussi tout un pan documentaire et littéraire, notamment des documents de l'Office national du film du Canada, une bande dessinée intitulée La Vérendrye, explorateur de l'Ouest canadien (NOTE 3) et un roman intitulé Les chasseurs de continents : La Vérendrye et fils (NOTE 4).

René Lanthier, Le massacre de Jean-Baptiste de La Vérendrye, du père Jean-Pierre Aulneau de la Touche au Lac des Bois en juin 1736. CUSB

La Vérendrye : de la Nouvelle-France au Manitoba (1738-2008)

Quoique moins estimé et célébré en dehors de l'Ouest canadien, Pierre Gaultier de Varennes de La Vérendrye, ce valeureux fils de la Nouvelle-France, demeure néanmoins très présent dans les esprits. Au Québec, par exemple, les découvertes qu'il fit dans l’Ouest canadien sont largement enseignées et reconnues. La Compagnie de La Vérendrye, une société de reconstitution historique francophone de Saint-Boniface, participe d’ailleurs au 400e anniversaire de la ville de Québec en 2008. Il s'agit là d'un geste symbolique fait en souvenir de l'officier des Compagnies Franches de la Marine qui fut le premier à cartographier et à décrire une région qui, depuis le milieu du XVIIIe siècle, se veut l’un des grands fiefs de l'Amérique du Nord française, au patrimoine riche et unique.

Si La Vérendrye symbolise le voyageur idéal pour de nombreux Canadiens, force est de reconnaître qu'il est avant tout une figure emblématique du Manitoba français. Le découvreur appartient à une époque mythique. Si sa vie ne fut pas aussi tragique que celle de Louis Riel, le père du Manitoba, le drame qui l’entoura est, dans l'espace et le temps, un signe précurseur de plus grands combats que les Métis et les francophones ont à poursuivre. En ce sens, il se présente incontestablement comme le pilier fondateur d'une tradition française et catholique bien implantée au Manitoba.

 

Denis Combet

Professeur de littérature française
Université de Brandon, Manitoba

 

NOTES

1. « Côté politique, le jugement de la Cour suprême du Canada, dans le cas Georges Forest, déclare en 1979 que la Official Languages Act de 1890 est inconstitutionnelle et rétablit le Manitoba comme province bilingue » (Société historique de Saint-Boniface, « La présence française dans l'Ouest : les débuts », Au pays de Riel [en ligne], 2004, http://www.shsb.mb.ca/paysriel/accueil.html, consulté du 30 septembre 2007 au 25 janvier 2008).

2. Société historique de Saint-Boniface, Centre du patrimoine, Les grandes lignes de l'histoire de la Société historique de Saint-Boniface [en ligne], http://www.shsb.mb.ca/histoire/hist92.htm, consulté du 30 septembre 2007 au 25 janvier 2008.

3. Robert Freynet, La Vérendrye, explorateur de l'Ouest canadien, Saint-Adolphe (Man.), Apprentissage illimité, 2002, 40 p.

4. Yves Breton, Les chasseurs de continents : La Vérendrye et fils, Vanier (Ont.), L'Interligne, 1999, 147 p.

 

BIBLIOGRAPHIE

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Chartrand, René, Le patrimoine militaire canadien : d'hier à aujourd'hui, t. I : 1000-1754, Montréal, Art global, 1993, 239 p.

Combet, Denis (dir.), À la recherche de la mer de l'Ouest : mémoires choisis de La Vérendrye, Saint-Boniface, Éditions du Blé; Winnipeg, Great Plains Publications, 2001, 191 p.

Dauphinais, Luc, Histoire de Saint-Boniface, vol. 1 : À l’ombre des cathédrales : des origines de la colonie jusqu’en 1870, Saint-Boniface, Éditions du Blé, 1991, 335 p.

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Zoltvany, Yves F., « Gaultier de Varennes et de La Vérendrye, Pierre », Dictionnaire biographique du Canada, Québec, Presses de l'Université Laval, vol. III, 1974, p. 264-273.

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